Quand le congrès socialiste de 1908 à Toulouse éclaire les enjeux de la gauche de 2022

Philippe Rioux
4 min readOct 17, 2022

--

La longue histoire du parti socialiste a été jalonnée de congrès majeurs. Le congrès de 1905 qui scella l’unité des socialistes ; le congrès de Tours en 1920, où une scission au sein de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) créa la Section française de l’Internationale communiste (SFIC, futur Parti communiste français) ; le congrès d’Épinay, « congrès d’unification des socialistes » en 1971 qui porta à sa tête François Mitterrand ; le congrès de Rennes en 1990 où apparaissent de profondes divisions. Le prochain congrès du PS, prévu en janvier 2023, s’annonce lui aussi comme une date importante.

Un congrès est toutefois moins connu du grand public, celui de 1908, qui scella l’unité de la SFIO autour de Jean Jaurès. Largement chroniqué dans La Dépêche, ce congrès s’est tenu à Toulouse, dans le réfectoire des Jacobins, du 15 au 18 octobre 1908 et donna lieu à des débats aussi vifs sinon plus que ceux auxquels on a assisté cette année autour de la Nupes…

Cinquante-quatre photographies de l’événement, acquises par les Archives départementales de Haute-Garonne, ont été prises par le Toulousain Georges Baudillon et aussitôt diffusées sous la forme de cartes postales par le journal socialiste quotidien L’Humanité dirigé par Jean Jaurès. Ces photos ont servi de base à un ouvrage collectif illustré, préfacé par Lionel Jospin et publié, avec le soutien de la Fondation Jean-Jaurès, par les éditions Midi-Pyrénéennes cette année.

1908–2022 : deux époques qui nous interpellent

L’occasion de retracer le récit et les enjeux de ce congrès qui résonne fortement, 114 ans plus tard, avec la situation actuelle comme le souligne l’historien Rémy Pech, l’un des auteurs et président de l’Association des amis de Jean Jaurès. « La situation générale de l’Europe et de la France, les positions parfois violemment contradictoires des différents acteurs, leur volonté d’afficher finalement l’unité et le désir de conquête du pouvoir, ne manquent pas de nous interpeller », explique Rémy Pech, qui nous brosse le tableau de l’époque.

« Un gouvernement dominé par Clemenceau, lui-même éternel opposant aux ministères modérés, mais comportant aussi plusieurs socialistes dissidents, un péril de guerre européenne manifesté par la situation explosive des Balkans où les nationalismes rivaux s’exercent dans une course aux armements présageant des massacres, une société souffrante où les mouvements paysans et ouvriers sont durement réprimés, des vignerons languedociens en 1907 aux ouvriers parisiens en 1908. »

La une de L’Humanité après le congrès.

Trois tendances présentes au congrès de Toulouse s’affrontent durement
« En 1908, Jaurès prône de plus belle une unité socialiste qu’il n’a cessé de défendre depuis 15 ans. Une fois obtenue la réhabilitation de Dreyfus et la Séparation des Églises et de l’État en 1905, la gauche s’est disloquée, le parti radical différant les réformes et s’identifiant à l’Ordre. La CGT organise le monde ouvrier autour des préceptes révolutionnaires de l’action directe et de la grève générale. Au sein même du Parti socialiste unifié administrativement en 1905, trois tendances présentes au congrès de Toulouse s’affrontent durement :

  • les guesdistes, encore sceptiques quant à l’action parlementaire. Forts de l’expérience des municipalités conquises et des coopératives qu’ils ont fondées, ils se méfient de l’agitation et veulent organiser la gauche en attendant le moment propice pour accéder au pouvoir.
  • les « insurrectionnels » veulent un parti révolutionnaire appuyé sur le syndicalisme et pressentent au contraire l’urgence de la révolution.
  • enfin, Jaurès, qui pour réaliser l’unité a renoncé à participer au gouvernement. Il a diagnostiqué le danger imminent de la guerre et sait que pour l’enrayer, la mobilisation du monde ouvrier est nécessaire. Il accepte d’enterrer toutes les vieilles querelles pour tracer un chemin commun où les réformes arrachées prépareront la construction d’une société de progrès et de fraternité.

La force du sentiment unitaire permet alors de dominer les tendances centrifuges et de définir le Parti socialiste comme un puissant outil d’évolution révolutionnaire, qui récoltera de nombreux suffrages aux élections suivantes, dessinant la perspective d’une accession au pouvoir qui sera brisée en 1914 », rappelle Rémy Pech.

Réforme ou révolution ? Conquête ou exercice du pouvoir ? Programme a minima ou commun ? Autant de questions posées en 1908 et qui reviennent en 2022 pour la gauche en général et les socialistes en particulier. Raison de plus pour se replonger dans le congrès de Toulouse.

Toulouse 1908. Le congrès pour l’unité socialiste, Éditions Midi-Pyrénéennes, 180p., 22 €.

(Article publié initialement dans La Dépêche du Midi du dimanche 16 octobre 2022)

--

--

Philippe Rioux
Philippe Rioux

Written by Philippe Rioux

Journaliste, éditorialiste à @ladepechedumidi #medias #politique #digital #privacy #innovation. Toulouse

No responses yet