Océans, glaciers : “Il est urgent d’agir” pour Jean-Louis Etienne

Philippe Rioux
6 min readSep 1, 2019

Jean-Louis Etienne est médecin, explorateur. Premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire en 1986, il a réalisé en Antarctique la Transantarctica en 1989–1990. Il réagit au pré-rapport du GIEC sur les océans.

Jean-Louis Etienne

La fonte des glaciers, du permafrost, des calottes polaires constitue-t-elle, selon vous, la plus grande menace écologique aujourd’hui ?

Il est évident que depuis une quinzaine d’années, en Arctique, les images satellites montrent que la banquise régresse et la régression s’accélère. Quand on fréquente le pourtour qui était en général une zone de permafrost, c’est-à-dire gelée en permanence, aujourd’hui on s’y enfonce. Dans les villages qui sont construits sur ce permafrost, on voit des maisons qui sont bancales. Donc l’Arctique est particulièrement touchée. On considère que la température moyenne en Arctique s’est élevée de 4° à 5° depuis 70 ans. Une des conséquences qui nous concerne, c’est que la machine climatique, c’est l’échange entre la chaleur des tropiques, permanente, et le froid des pôles. La Terre a deux fluides pour échanger cette chaleur tropicale : les courants aériens rapides et qui conditionnent la météo, et les courants océaniques. L’océan stocke beaucoup de chaleur. Le golf stream prend l’eau de la Caraïbe vers le Groënland. Ce qui fait déplacer un tel courant est la différence de température et de salinité. Si l’Arctique se réchauffe, vous avez moins de puissance à «appeler» les eaux chaudes. Donc le réchauffement de l’Arctique pose un vrai problème.

Et l’Antarctique ?

L’Antarctique est touchée aussi parce qu’il y a une montée de la température et du niveau de l’océan : cela vient éroder les glaces flottantes. L’Antarctique est un immense glacier plat et par gravité la glace descend doucement. Quand ces grandes plateformes glacières arrivent sur la mer elles flottent parfois jusqu’à 500 km. De temps en temps ça se casse et cela forme un iceberg tabulaire. L’érosion libère de plus en plus de gros icebergs. Les deux pôles sont donc touchés par le réchauffement climatique.

La glace se détache du Pine Island Glacier — Jesse Allen/ NASA Earth Observatory

Au-delà des conséquences sur le réchauffement climatique, il y a également d’autres menaces sur les pôles. On pense au tourisme qui se développe ou encore aux appétits des Etats qui veulent exploiter les ressources. L’Antarctique est-elle menacée ?

D’une manière générale, l’Antarctique est protégée jusqu’en 2048 grâce à un moratoire de 50 ans. Grâce à ce Protocole de Madrid signé en 1998, l’Antarctique est préservée des exploitations. Le jour où on ira exploiter l’Antarctique on sera au bout du bout car cela pose d’énormes problèmes logistiques et techniques. Pour le tourisme, c’est vrai qu’il y a une fréquentation croissante mais en même temps c’est certainement la plus cadrée au monde. Tous les navires déposent leur plan de navigation avec plus d’un an d’avance. Il y a une gestion de l’ensemble du tourisme faite à l’échelle internationale. Ensuite, ce tourisme est encadré par des biologistes, des spécialistes des oiseaux, etc. qui vous amènent sur le terrain. Vous n’amenez pas vos habits, on vous équipe, etc. Ce tourisme touche par ailleurs une petite partie de l’Antarctique donc ce n’est pas pour l’heure une menace.

De l’autre côté de la Terre, la fonte des glaces a ouvert la voie du nord-est qui avive les tensions entre pays. Le PDG de l’armateur CMA-CGM, Rodolphe Saadé, s’est engagé à ne pas utiliser cette voie pour ces porte-conteneurs. Un exemple à suivre ?

Il y a deux routes : nord-ouest et nord-est. Dans les deux cas le passage n’est pas garanti, tous les bateaux doivent avoir une double coque, des équipages classés «glace». Il y a un investissement. Le nord-est, c’est la Russie et cela fait longtemps qu’elle entretient ce passage car elle a des mines au nord de la Sibérie. Elle entretient cette voie commerciale avec de très gros brise-glace nucléaires et elle voit d’un bon œil que cette voie navigable attire les armateurs parce qu’ils vont faire de l’accompagnement. Mais sincèrement, les gagnants sur cet élargissement de la surface de voie navigable ce sont le tourisme et les pêcheurs, car il n’y a pas de législation internationale mise en place.

Greenpeace a lancé une campagne demandant la signature d’un traité international pour protéger les océans. Soutenez-vous cette initiative ? Peut-elle aboutir ?

L’océan est géantissime. On a vu grandir des projets de nettoyage de l’océan mais c’est une illusion totale. Si on veut être propre avec les océans, il faut arrêter la pollution au niveau des estuaires, des fleuves, au niveau du filtrage en amont. Dans l’estuaire de la Seine, c’est monstrueux ce que l’on ramasse : des cotons-tiges, des pailles plastiques, etc. Il faut donc travailler très en amont et c’est à chacun d’entre nous d’être responsable. Une fois ces plastiques en mer, ils se dégradent et ce sont de véritables éponges qui fixent le phytoplancton. Ce dernier sera ensuite mangé par le zooplancton, les crevettes, le poisson et par nous. C’est l’un des problèmes de la contamination de l’océan par les matières plastiques. Ce que l’on souhaiterait c’est une législation sur les eaux internationales, où il y a une surpêche colossale.

Un des aspects souligné par le rapport du GIEC est le déplacement possible de 280 millions de personnes en raison de la montée des eaux. Ces réfugiés climatiques sont-ils le grand défi de demain ?

Le niveau de la mer monte et va continuer à monter. Beaucoup de personnes qui habitent sur des îles basses vont être concernées mais également tous ceux qui habitent dans les grandes mégalopoles en bord de mer. Un exemple : le cyclone qui avait touché New York il y a quelques années. L’eau avait inondé le métro, les centrales électriques. Depuis, la ville réfléchit à comment se protéger. Il y a des projets architecturaux, des remparts bétonnés pour faire pousser des mangroves qui font effet de digue. Des mangroves qui existaient d’ailleurs et qui ont été détruites. La montée du niveau des eaux est un vrai problème pour ces villes côtières. Vous savez il y a urgence à agir même si la maladie est chronique. La Terre a pris un degré en un siècle. Un degré cela paraît peu mais si vous, vous avez 38° au lieu de 37°, ça change tout. Si on ne fait rien, on va à la catastrophe.

Propos recueillis par Philippe Rioux
(publié initialement dans
La Dépêche du Midi du 31 août 2019)

PolarPod en 2022

Vous avez marqué les Français par vos expéditions polaires, vos exploits et votre engagement. Depuis plusieurs années vous préparez une nouvelle expédition, PolarPod. Où en est-elle ?

Le PolarPod est important. Cela prend du temps. L’Etat finance la construction donc il y a des procédures, des appels d’offres qui prennent du temps. On voit le départ fin 2022. Ce que l’on va faire c’est qu’on va mesurer la performance de l’océan autour de l’Antarctique à absorber le gaz carbonique. Cet océan est un puits de carbone, c’est-à-dire qu’il y a une dissolution importante de CO2 car ce sont des eaux froides. Nous allons mesurer son rôle dans le climat. Toutes les prédictions climatiques sont faites à partir d’informations que l’on capte, de mesures. Sur cet océan, on sait peu de choses donc on va amener des réponses pour essayer de mieux comprendre les mécanismes.

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Philippe Rioux

Journaliste, éditorialiste à @ladepechedumidi #medias #politique #digital #privacy #innovation. Toulouse