José Bové, vingt ans après le démontage du MacDo de Millau : “Je continue le combat”

Philippe Rioux
8 min readAug 11, 2019
Démontage du McDonald’s
Le 12 août 1999, le démontage du McDonald’s de Millau. / Photo La Dépêche Philippe Rioux

Qui a eu l’idée de s’en prendre à un fast-food McDonald’s ?

José Bové. Eleveur, ancien syndicaliste de la Confédération paysanne, et ancien eurodéputé Eurodéputé Les Verts. — L’idée était assez simple puisqu’en fait, on était en conflit depuis déjà plusieurs mois sur ce dossier. Le point de départ, il faut s’en souvenir, c’est la question de l’utilisation des hormones dans l’élevage ; et la surtaxation du roquefort et de 60 produits européens parce que l’Union européenne a été condamnée par un tribunal de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour son refus de revenir sur l’interdiction des hormones.

Les Etats-Unis ont décidé avec l’accord de l’OMC de surtaxer ces produits pour compenser leur manque à gagner sur leur viande de bœuf. Le roquefort s’est retrouvé en première ligne ce qui a créé évidemment un émoi chez tous les producteurs de lait, les industriels de Roquefort et les habitants. Déjà dans les semaines qui ont précédé le démontage il y avait des banderoles dans tout Millau contre la surtaxation et il y avait une position unanime.

On s’est dit qu’on ne pouvait pas en rester seulement là. J’étais porte-parole du Syndicat des producteurs de lait de brebis (SPLB) et membre de la Confédération paysanne, et à quelques-uns, au bureau du syndicat, on s’est réuni à Saint-Affruque dans un café. Un soir de mi-juillet, on a décidé de mener cette action en nous disant : on va faire symbole contre symbole. Puisque c’est la première appellation d’origine qui est attaquée, eh bien on va s’en prendre au symbole de la première chaîne de l’agriculture industrielle et de l’alimentation standardisée. Voilà comment c’est né, une décision collective, plus personne se rappelle qui a lancé le premier le mot.

Démontage du MvDonald’s
Le démontage du McDonald’s.

Quel souvenir personnel gardez-vous de cette journée ?

D’abord celui d’une manifestation réussie avec 300–400 personnes. C’était très bon enfant, il y avait des personnes âgées, des enfants dans les poussettes, il y avait une fanfare, des tracteurs qui sont allés devant la sous-préfecture. C’était joyeux. à Millau les gens applaudissaient sur les trottoirs ou aux balcons. On a réussi une belle manifestation. Un seul regret c’est qu’il n’y avait que la presse régionale.

Vous attendiez-vous à ce que ce démontage ait autant d’écho dans l’opinion et qu’elle reconnaisse les combats que vous meniez depuis plusieurs années ?

Sincèrement, au moment où l’action s’est déroulée, on n’a jamais eu le sentiment qu’elle aurait une telle envergure. Au niveau régional, les images, les articles de presse ont joué un rôle. Mais si dans les jours qui ont suivi, la juge d’instruction, Mme Marty, n’avait pas décidé d’arrêter les gens à 6 heures du matin, de me faire rechercher car j’étais parti en vacances, de nous incarcérer puis de refuser de me faire libérer… tout cela n’aurait pas eu la même ampleur.

Quand la juge m’a notifié ma mise en détention provisoire, je lui ai demandé à lui serrer la main pour lui dire «merci madame, vous nous avez fait gagner dix ans.»

La répression qui s’est faite était complètement idiote parce qu’il suffisait de convoquer les gens au tribunal pour les mettre en examen et leur dire on vous convoquera plus tard. Tant pis pour eux. Le jour où je me suis rendu au palais de justice, quand la juge m’a notifié ma mise en détention provisoire, je lui ai demandé à lui serrer la main pour lui dire «merci madame, vous nous avez fait gagner dix ans.»

La judiciarisation de cette action, qui se terminera pour vous par de la prison, aura finalement servi votre cause.

Dans un mouvement non-violent, de désobéissance comme celui-là, la prison ou au moins déjà la judiciarisation fait partie aussi de l’action. À partir du moment où ils ont décidé de rentrer dans cette logique, cela a amplifié le mouvement. Les gens comprenaient sur le fond et en même temps trouvaient parfaitement injuste qu’on puisse être sanctionné et incarcéré, et qu’on nous demande une caution comme dans un mauvais film américain. Tout cela a créé une dynamique qui a fait qu’un an après, pour le procès, il y avait 100 000 personnes à Millau.

Quelques mois après le 12 août, vous réalisez un coup incroyable en amenant 500 kg de Roquefort à l’occasion du sommet de l’OMC à Seattle, aux Etats-Unis. Vous serez ensuite de tous les contre-sommets pour défendre la cause altermondialiste, lutter contre les OGM, contre la malbouffe, et pour une agriculture durable. 20 ans plus tard estimez-vous que ce combat a permis des avancées, ou qu’il doit se poursuivre contre de nouvelles cibles comme les accords commerciaux internationaux de type CETA ?

Je pense que notre action a été un point de départ. Depuis 1986, il y avait les négociations de l’Uruguay Round du Gatt qui devaient donner naissance à l’OMC. À ce moment-là, il était question de faire entrer l’agriculture dans les règles internationales du commerce et faire en sorte qu’elle ne soit pas un domaine à part, géré par ses propres règles comme la souveraineté alimentaire. Cela a été une vraie rupture qui a amené la première modification de la Politique agricole commune (PAC) en 1992, où les prix intérieurs européens ont été alignés sur les prix mondiaux, ce qui a été un bouleversement. Quand l’OMC est née, très vite on s’est rendu compte que ses règles en matière sanitaire étaient alignées sur le codex alimentarus, fait par l’agro-industrie,qui permet les OGM, les hormones, etc. dans l’alimentation. Si un pays refuse, il doit faire la preuve que ces produits sont dangereux ! C’est un système à l’envers.

José Bové faucheur volontaire d’OGM
José Bové en faucheur volontaire d’OGM.

On a mis le doigt les premiers sur cette situation qui a entraîné des conflits, des règles de commerce terribles. Seattle s’est fait beaucoup sur la question de l’agriculture ET de l’environnement, ça a été un moment très fort. Cela a créé une dynamique. Il y a eu ensuite Cancun, Hong Kong, etc. L’OMC s’est ensuite pris les pieds dans ses propres contradictions : les Etats et les multinationales ont fait pression pour substituer les accords de l’OMC par des accords de libre-échange. Ceux qui vantaient l’OMC comme Pascal Lamy ne parlent plus que des accords de libre-échange. On voit que ces derniers sont encore pires que les règles de l’OMC. On voit que le politique reste toujours aussi frileux sur ces sujets : on a bien vu que le Parlement a voté l’accord du CETA… On a vécu ça il y a vingt ans lors de la création de l’OMC.

Les idées écologistes, beaucoup de vos idées sur l’agriculture, l’alimentation sont malgré tout approuvées par les Français et pourtant, les écologistes ont toujours du mal à traduire cela politiquement. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a des écologistes, beaucoup de gens qui développent des idées sur l’alimentation, l’agriculture. Ce qui manque aujourd’hui sur ces questions, c’est d’être beaucoup plus offensif et de voir beaucoup plus globalement la question des accords internationaux et du climat qui sont complètement liés. Yannick Jadot est très clair là-dessus.

On ne peut pas aujourd’hui continuer la mondialisation des échanges et prétendre que dans le même temps, on va lutter de manière efficace contre le réchauffement. Il y a là une opposition frontale. On voit aujourd’hui qu’il y a une prise de conscience mais il faut qu’elle se traduise aussi chez les gens. C’est compliqué de se dire c’est loin, on ne comprend pas forcément tout, mais pour moi, ça reste le combat central.

José Bové au Parlement européen
José Bové au Parlement européen, opposé au CETA.

Vous avez été candidat à l’élection présidentielle, et surtout député européen Europe écologie Les Verts (EELV). Quels enseignements tirez-vous de cette expérience, de vos mandats d’eurodéputé au cours desquels vous aviez dénoncé le poids des lobbys ?

J’ai été élu en 2009 et réélu en 2014. Ça a été une expérience très intéressante car c’était un autre terrain. Mais pour moi le combat ne changeait absolument pas. J’ai pu observer, dénoncer et gagner quelques batailles contre les lobbys. L’agro-industrie, l’agrochimie ont tout fait pour essayer de faire passer des règles qui leur soient de plus en plus favorables. C’est un combat de tous les instants et j’espère que ceux qui ont été élus il y a quelques mois vont continuer ce combat. Sur les accords de libre-échange comme sur la renégociation de la PAC qui est une catastrophe totale, il faut être beaucoup plus vigilants.

On est dans une phase où on a l’impression que la Commission européenne n’a toujours pas compris et où malheureusement le Parlement et les Etats ne font pas grand-chose pour faire évoluer les choses. On pourrait être découragé, mais en même temps, on voit qu’il y a de plus en plus d’associations mobilisées, que ces idées font leur chemin de manière massive dans l’opinion publique, notamment chez les jeunes. Ce combat doit continuer parce qu’on n’a pas beaucoup d’alternatives. On n’a qu’une planète et ce sont les 20 années à venir qui sont capitales, sinon l’emballement climatique va continuer de manière encore plus forte, on l’a bien vu avec les dernières canicules. Il y a une situation d’urgence, c’est pour cela qu’il faut du courage politique et malheureusement, nos dirigeants n’en font pas preuve.

Justement, selon vous, le politique peut-il encore peser sur la marche du monde ou finalement les changements que vous espérez ne peuvent-ils se faire que par la mobilisation de la société civile ?

Ce que je trouve désolant, c’est qu’en fait les politiques ont un pouvoir. Le Parlement européen peut bloquer des accords de libre-échange, la PAC, le budget s’il va contre l’intérêt de la planète. Pareil pour notre gouvernement : un pays au Conseil européen peut mettre son veto aux accords de libre-échange. Malheureusement les politiques eux-mêmes ne veulent pas assumer et donc ce sont les mobilisations citoyennes qui sont indispensables pour faire bouger les lignes.

Quand on nous parle de faire de la politique autrement, on voit bien que sur les questions de fond rien n’a bougé. On le voit dans le conflit Chine-Etats-Unis, dans les accords de libre-échange, etc. Il y a un vrai danger, il faut des solutions immédiates, il faut du courage et je ne le vois ni en France ni au niveau européen.

20 ans après le démontage du MacDo, on vous sent toujours aussi mobilisé, impliqué, révolté même. Quels sont maintenant vos projets, vos engagements ?

Je vais continuer avec ceux qui sont sur ces combats. Je serai toujours en alerte. Peut-être plus en position de vigie puisque j’ai abandonné toutes les responsabilités d’élus, car je pense qu’après deux mandats c’est très bien. C’est en tant que citoyen qui a déjà une histoire que je vais agir. Je crois qu’il faut continuer ces réflexions sur la souveraineté alimentaire, la lutte contre le réchauffement climatique.

Pour moi ça reste des combats centraux et qui vont nécessiter des mobilisations fortes pour bloquer les rouages des institutions qui nous amènent dans le mur.

Propos recueillis par Philippe Rioux (Interview publiée dans La Dépêche du Midi du 11 août 2019)

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Philippe Rioux

Journaliste, éditorialiste à @ladepechedumidi #medias #politique #digital #privacy #innovation. Toulouse