«Aujourd’hui, il faudrait démanteler Google, Facebook»

Philippe Rioux
4 min readOct 21, 2019

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Connexions Fzacebook en décembre 2010.

Christophe Alcantara, spécialiste de l’e-réputation, enseignant chercheur en sciences de l’information et de la communication — IDETCOM Université Toulouse 1 Capitole.

Il y a cinquante ans naissait internet ; aujourd’hui dominé par les réseaux sociaux et les GAFA. Que reste-t-il des idéaux du début ?

Arpanet, l’ancêtre d’internet si on fait un peu d’archéologie d’internet et du web, était initialement créé pour permettre à des machines à calculer de pouvoir partager de la ressource de calcul, ni plus ni moins. Il y a alors eu un détournement d’usage, une hybridation d’usage, c’est-à-dire un usage réel qui n’était pas le même que l’usage prescrit. Cela a permis à Arpanet et plus largement à internet de devenir non pas un outil de partage de la ressource au sens mémoire vive, mais vraiment un outil à communiquer.

Le réseau Arpanet en 1974.

Tout cela part de Joseph Licklider, le père d’Arpanet qui a dessiné les utopies fondatrices d’internet. Arpanet n’a pas été créé par l’armée américaine pour l’armée, mais par des chercheurs pour des chercheurs sur des fonds de l’armée avec l’agence Darpa.

Les mythes fondateurs, ce sont le partage, la gratuité, l’échange. Ils ont été bouleversés et révolutionnés par la pratique mais aussi par le fait qu’internet tel qu’on l’utilise aujourd’hui est devenu une technologie de substitution au projet politique des autoroutes de l’information voulu par Bill Clinton et All Gore en 1996.

Christophe Alcantara.

Facebook et Google, qui ont désormais la puissance d’Etats, deviennent-ils dangereux pour la démocratie ?

Plutôt que de poser la question du danger, interrogeons-nous plutôt pour savoir s’ils ne manipulent pas déjà l’information et la communication. Ils la manipulent d’une façon institutionnelle. Quand vous écoutez les promoteurs de Facebook, d’Instagram, de YouTube, etc. ils reposent toujours leurs discours de promotion sur les mythes fondateurs d’internet : la culture de la gratuité, le partage, l’échange. Mais en vérité, ces utopies fondatrices dont ils truffent leurs propos sont au fond un cheval de Troie pour produire une colonisation numérique. Leur modèle économique repose sur cette colonisation numérique.

Aux Etats-Unis, il y a actuellement un débat, notamment porté par la sénatrice démocrate Elizabeth Warren (candidate à la primaire pour la présidentielle de 2020) sur le démantèlement de Facebook. En Europe, on table sur une régulation ferme avec des amendes. Faut-il démanteler les GAFA, davantage les réguler ?

Si on appliquait strictement les lois antitrust qui existent aux Etats-Unis depuis plus d’un siècle, cela ferait déjà un moment que Google par exemple serait démantelé, c’est une évidence. Ce sont à la fois des acteurs de contenants et de contenus. Et dans le contenu, ils ont une maîtrise quasiment totale de par leur puissance et se retrouvent de fait dans une situation de monopole. Si aujourd’hui il fallait qu’on raisonne en économiste, Schumpeter nous disait que dans l’économie ce qui compte, c’est la destruction-créatrice : en gros plus on innove plus on crée de nouveaux emplois, des émergents deviennent des leaders.

Sources : Union internationale des télécommuincations, Interne World Stats, Datareportal avril 2019.

Mais dans les faits, sur le web, ça ne peut plus exister car même si vous avez une innovation particulièrement disruptive, elle va être captée par les grands acteurs qui vont l’acheter 3, 4, 5 milliards de dollars. Cela conforte encore plus leur position dominante. Ils passent leur temps à acheter des start-up. Ils sont donc dans une situation de monopole qu’ils contribuent à amplifier. S’ils n’ont pas été démantelés, c’est notamment à cause d’Obama qui était totalement une victime consentante du lobby des GAFA (il a été élu en 2008 grâce à la puissance des réseaux sociaux), avec lesquels il avait une proximité coupable. Donc démanteler, oui.

Aujourd’hui, y a-t-il quelque chose qu’on ne voit pas venir sur internet ?

Le fait de pouvoir coupler de l’intelligence artificielle (IA) sur les réseaux sociaux. Le problème c’est que c’est insidieux. Les gens ne vont pas le voir mais c’est totalement manipulatoire. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle a deux natures. Vous avez des algorithmes prédictifs qui vont partir sur de grandes séries statistiques pour prévoir des comportements. Ce qui n’est pas sans interpeller les fonctionnements démocratiques : si je peux anticiper les réactions, voyez comme c’est manipulatoire. Et cela existe aujourd’hui.

Le 2e type d’algorithmes qui va arriver, c’est ce qu’on appelle les algorithmes créatifs. Je ne prends pas appui sur le passé pour me projeter dans le futur mais je suis capable d’apprendre en continu avec mon environnement. Vous imaginez les problèmes éthiques que ça pose. Le vrai enjeu est là.

La notion d’éthique dans les pratiques numériques doit être fondamentale, mais personne n’aborde ce sujet, notamment les politiques qui ne s’approprient pas ce sujet…

(Interview publiée initialement dans La Dépêche du Midi lundi 21 octobre 2019)

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Philippe Rioux
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Written by Philippe Rioux

Journaliste, éditorialiste à @ladepechedumidi #medias #politique #digital #privacy #innovation. Toulouse

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